Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le Japon connaît un essor dans son industrie littéraire et donne naissance à une nouvelle œuvre littéraire qui va révolutionner le monde entier : les mangas. Ces bandes dessinées japonaises, imprimés en noir et blanc omis leur couverture, deviennent une sensation internationale et se diversifie rapidement. Le genre « shounen » est un genre littéraire d’action particulièrement prisé au sein de la communauté, mettant en scène des protagonistes majoritairement mâles. Haruichi Furudate (1983-), est un artiste japonais reconnu pour sa série Haikyu!! qui, en 2020, a vendu plus de 7 millions de copies. La série Haikyu!! (2012-2020) met en scène Hinata Shōyō, un jeune élève de 15 ans de petite taille, passionné de volleyball et possédant d’incroyables caractéristiques athlétiques comme une bonne endurance et une vitesse impressionnante. Le récit suit Hinata et son équipe de volleyball du lycée Karasuno, autrefois surnommé « les corbeaux sans ailes », alors qu’ils affrontent d’autres équipes collégiales dans l’espoir de se qualifier pour les tournois nationaux. Haikyu!! est largement reconnu pour ses personnages complexes et ses nombreux thèmes parsemant le récit. Comme mentionné précédemment, l’œuvre littéraire qui possède 402 chapitres, illustre les conflits entre les différentes équipes, soulignant d’ailleurs le milieu hautement compétitif de la série : seule une équipe peut gagner, malgré tous les efforts dépensés par les autres équipes.
Qu’arrive-t-il à ceux qui n’arrivent pas à atteindre ce but ultime? Certains abandonnent, complètement détruits par leur défaite, alors que d’autres l’utilise afin de se pousser davantage à s’améliorer. De même, Haikyu!! met l’accent sur une division d’athlètes omniprésente dans le circuit compétitif : les surdoués qui possèdent un haut potentiel sportif inné et ceux dits « normaux ». Cette réalité douloureuse affecte plusieurs personnages à travers le récit, cependant, deux personnages particuliers se démarquent quant à leur réaction face à cette différence flagrante dans le sport, soit Oikawa Tooru et Tsukishima Kei. Ces deux athlètes ont vécu des expériences traumatisantes durant lesquelles leur statut d’athlète « normal » les a pratiquement frappés en plein visage. De ces expériences pourtant similaires à son essence, les deux jeunes hommes adoptent des mentalités complètement différentes et opposées durant leur temps en tant que joueurs de volleyball.
Tout d’abord, il est important de remarquer que Oikawa et Tsukishima, tous deux des athlètes impressionnants, partagent plusieurs similitudes quant à leurs expériences face aux surnommés « génies » du sport. En premier lieu, les deux athlètes développent à un jeune âge un intérêt pour le volleyball. Oikawa se joint à l’équipe de son collège Kitagawa Daichi en tant que passeur et devient à sa troisième année le capitaine de l’équipe alors que Tsukishima se contente d’admirer son grand frère, Tsukishima Akiteru, un passionné de volleyball, qui joue pour Karasuno. Bref, ils adorent le sport et sont encore inconscients du côté plus sombre et compétitif du milieu sportif. Puis vient l’arrivée des surdoués, un élément déclencheur qui va chambouler leurs vies pour le pire. En effet, Oikawa encaisse défaite après défaite aux mains de Ushijima Wakatoshi, un joueur surdoué de l’école Shiratorizawa doté d’une puissance impressionnante. Le jeune passeur remarque avec amertume que malgré tous ses efforts, il ne semble jamais être capable de surpasser Ushijima, un athlète que son entraîneur qualifie comme étant naturellement doué. Qu’Ushijima va constamment de l’avant alors qu’Oikawa peine à le rattraper au prix d’innombrables heures de pratique et d’efforts. Le jeune athlète de Kitagawa est mis devant le fait accompli et prend pour la première fois conscience que malgré toute sa passion, tout son amour pour le sport, il va toujours y avoir un athlète dit plus talentueux qui le devance. Cette pensée est accentuée par l’introduction de Kageyama Tobio dans l’équipe, un surdoué 2 ans son junior et qui joue dans la même position d’Oikawa. Kageyama, pourtant plus jeune et donc moins expérimenté, possède des compétences athlétiques supérieures ou du moins, équivalentes à celles d’Oikawa. De même, Kageyama finit par remplacer Oikawa en tant que passeur durant un match important puisque celui-ci, stressé et paralysé par ses insécurités, perd ses moyens, affectant négativement sa performance. Cette expérience torture le jeune passeur qui se sent dépassé et impuissant face au progrès rapide et incessant de ses rivaux, Ushijima et Kageyama, tous deux perçus comme des surdoués. Ceci le transforme, tout comme Tsukishima qui se voit, lui aussi, frappé par l’injustice que la division des athlètes pose. En effet, Akiteru, le frère de Tsukishima, passionné du volleyball, se dévoue jour et nuit à son entraînement. Il justifie ses efforts à Tsukishima comme étant le produit de son amour pour le sport et son souhait d’aider son équipe au lycée de Karasuno. Akiteru confie à son cadet plusieurs anecdotes quant à son équipe et lui raconte ses nombreux matchs, sous le regard admiratif de Tsukishima. Cependant, celui-ci réalise par la suite que la carrière de volleyball d’Akiteru avec Karasuno n’est qu’une panoplie de mensonges puisque son grand frère n’a pas été en mesure de se procurer une place dans l’équipe. Les ouïs-dires l’informent que l’équipe de Karasuno à ce temps est composée de plusieurs surdoués dont celui surnommé le « Petite Géant » qui joue en tant qu’ailier, la position qu’Akiteru se disait occuper. Des mensonges de son frère aîné naît en Tsukishima une profonde rancœur envers les surdoués puisque malgré les efforts désespérés de son frère, Akiteru n’a pas fait le poids contre les membres surdoués de l’équipe. Cette révélation, tout comme celle d’Oikawa, va le changer drastiquement. Les deux personnages, profondément affectés, se questionnent. Pourquoi est-ce que certaines personnes sont dotés de talents au volleyball alors que ceux « normaux » travaillent si dur, sans jamais pour autant être capable d’arriver aux mêmes sommets? D’ailleurs, il est également possible de qualifier les conséquences de ces expériences traumatisantes sur la mentalité des deux joueurs comme étant des réflexions opposées.
Ensuite, malgré leur rancœur commune envers les surdoués, mise en avant par des expériences douloureuses d’enfance, l’attitude sportive des deux joueurs par rapport au volleyball ne peut pas être plus différente. En effet, Oikawa adopte une mentalité presque optimiste quant à l’écart qu’il perçoit entre ses rivaux et lui-même. Il ne laisse pas ses « lacunes » le décourager de sa quête de victoire, loin de là encore, cela le pousse plutôt à dépasser ses propres limites au point de se blesser grièvement. « Le talent, ça s’épanouit. L’instinct, ça se perfectionne », proclame Oikawa durant son match contre Karasuno. Justement, cette citation démontre le travail ardent que le passeur met au volleyball. Iwaizumi Hajime, un ami d’enfance d’Oikawa, devait limiter les heures d’entraînement que le passeur effectuait, celui-ci obnubilé par sa lutte contre le talent des autres joueurs. Plusieurs exemples soutiennent sa dévotion envers le volleyball. Dès le début de Haikyu!!, Oikawa est déjà blessé au genoux puisqu’il avait poussé son corps au-delà de ses limites, s’entraînant de nombreuses heures par lui-même après les entraînements sans repos adéquat. Il sacrifie sa relation amoureuse avec sa petite amie afin de s’entraîner davantage en préparation à ses tournois, oubliant que la vie ne se résume pas seulement à être son combat contre les surdoués afin de continuer sa passion. Bref, l’injustice qu’est l’aisance des athlètes surdoués comparativement au reste indigne Oikawa au point qu’il se dévoue son corps et son âme afin de pouvoir se mesurer contre ceux qu’il considère comme étant plus talentueux. Pour lui, sa passion pour le sport le pousse continuellement à travailler dur afin de s’améliorer. Cette mentalité diffère complètement de celle de Tsukishima qui, lui, a adopté un point de vue extrêmement pessimiste. Contrairement à Oikawa qui refuse d’accepter l’écart entre les génies athlétiques et lui-même, Tsukishima accepte cette réalité avec amertume. Une citation en particulier illustre parfaitement son attitude envers le volleyball, le sport qu’il adorait il n’y a pas longtemps : « À quoi ça sert de mettre autant d’efforts si tu n’as aucune garantie de gagner? ». Tout au long des camps d’entraînement, Tsukishima ne met que le minimum d’efforts requis, refusant de passer du temps supplémentaire à s’entraîner. Après avoir été témoin du désespoir de son frère aîné à être surpassé par ceux surdoués malgré ses efforts, Tsukishima refuse de donner son 100% aux entraînements, de peur que l’échec et la déception de n’avoir pas réussi lui fera mal. Pour se protéger et convaincu de son impuissance face aux génies athlétiques, le grand blond minimise l’importance qu’il accorde au sport, ce qui affecte négativement sa performance. Ainsi, lorsque son équipe va perdre conformément à ses attentes, il sera en mesure de dire nonchalamment que de toute façon, le volleyball n’est qu’une activité parascolaire, qu’il ne s’agit qu’un club.
Il est d’ailleurs intéressant de noter les stratagèmes employés par l’auteur quant à la complexité de ses personnages. En effet, l’auteur utilise une version crue et simplifiée de la psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim. Bien que Haikyu!! ne se déroule pas dans un univers fantastique, cela n’empêche que le récit inculque de nombreuses leçons de vie à travers ses personnages et ses morales implicites. D’Oikawa, les lecteurs apprennent que malgré les injustices, il est possible avec beaucoup d’efforts et de persévérance de braver l’adversité. Que leurs luttes vont rapporter et qu’elles ne sont pas en vain. Le personnage de Tsukishima quant à lui sert à prévenir la vision pessimiste que plusieurs peuvent adopter face à la peur du rejet par exemple. Il souligne l’état presque dépressif de Tsukishima et comment est-ce que sa mentalité le rend plutôt malheureux puisqu’il se retrouve incapable d’apprécier le sport. Toutefois, à la fin du récit, après plusieurs années d’entraînement, Oikawa et Tsukishima deviennent tous deux des joueurs professionnels de volleyball et se battent à titre d’égaux contre certains génies durant des tournois importants. Cette conclusion de leur évolution en tant qu’athlète implique que malgré les difficultés et les conflits, les deux jeunes hommes sont capables de finalement obtenir une fin heureuse sans abandonner leur passion. Ceci rejoint la théorie de Bettelheim.
En conclusion, Haikyu!! est une œuvre littéraire complexe et intéressante qui met en scène plusieurs conflits et réalités présents dans le circuit sportif compétitif, notamment la division des athlètes selon leur taux de talent inné. Le récit, très populaire, transmet implicitement de nombreuses leçons morales par l’entremise de ses personnages. Justement, Oikawa Tooru et Tsukishima Kei sont tous deux des personnages qui sont, au début du récit, rancuniers envers lesdits génies en raison d’expériences personnelles. Ceci les mène à adopter deux mentalités différentes complètement opposées face à leur réalité douloureuse. Pourtant, cela n’empêche qu’ils apprennent tous deux des erreurs de leur attitude envers le volleyball s’adaptant pour finalement devenir des joueurs de volleyball reconnus et doués. Dans un autre d’idées, Haikyu!! n’est pas le seul manga à mettre en scène la division des athlètes en génies et ceux considérés normaux. Kuroko no Basuke est un manga mettant en scène des joueurs de basketball dont leurs talents sont hors normes et qui dominent tout le circuit. Cependant, contrairement à Haikyu!!, Kuroko no Basuke sous-entend que rien ne peut battre les athlètes talentueux qui sont sérieux dans leurs sports, que les génies se tiendront toujours au-delà de la portée des autres athlètes. Techniquement, il est impossible de déterminer laquelle de ces deux œuvres a raison. Toutefois, l’interprétation de Haikyu!! quant à cette réalité omniprésente dans tout domaine compétitif est plus avantageuse et touche davantage les lecteurs.